Julien Morel : MS-Innov

Morfose : le cobot français made in Belfort !

Le concept d’innovation française fait rire certains sceptiques. Julien Morel prend le sujet très au sérieux et à bras-le-corps. Sa société MS- Innov dévoile son produit phare, Morfose et c’est de l’Élysée même qu’il a reçu du soutien. La petite entreprise belfortaine se lance sur un marché très ambitieux et encore méconnu, la cobotique. Daft Punk disait «Human after All», Julien nous livre un robot à cœur d’humain.

Julien, qui êtes-vous ?

Je suis dirigeant de l’entreprise MS-Innov basée à Belfort. J’ai suivi une formation standard dans le domaine de la mécanique industrielle. Je suis diplômé d’un BTS dans l’usinage et d’une Licence Pro en Gestion de Projet d’Innovation. Je n’ai pas suivi un cursus dans de grandes écoles ni d’écoles d’ingénieurs. Mon parcours pro a débuté par la réalisation de plans en 2D, puis j’ai progressé vers la conception, ce qui m’a rapidement permis d’accéder à des postes à responsabilité dans le développement de produits, principalement dans l’automobile. À l’âge de 28 ans, je me suis lancé dans l’entrepreneuriat en créant MS-Innov, avec pour objectif de proposer une approche différente. Je voulais démontrer qu’il était possible de créer une entreprise performante où l’humain serait réellement considéré. Je souhaitais également proposer des solutions innovantes et différenciantes aux industriels tout en replaçant l’humain au centre des solutions.

Comment ce projet s’est-il amorcé ?

MS-Innov est née à Belfort en 2015. Depuis la création de l’entreprise, nous portons des travaux innovants. Le premier sujet d’innovation portait déjà sur la démocratisation des nouvelles technologies et cela via le prisme de la conception assistée par ordinateur. Au départ, notre principale activité était la prestation de services. Nous mettions nos compétences en ingénierie au service de nos clients. Nous avons ensuite développé la partie « bureau d’étude mécanique » qui nous a permis de gagner en valeur ajoutée grâce au développant d’outillages et de cellules robotisées. Plus tard, afin de réduire notre dépendance à l’industrie automobile, nous avons établi une seconde antenne en Alsace, sur l’aéroparc d’Ensisheim. En 4 ans, nous avons souvent été face à des problématiques de modernisation des outils de production des TPME. Les freins principaux étant le manque d’adaptabilité des outils et le manque de compétence en interne pour utiliser ces technologies. Cela nous a donné l’idée de créer un robot qui évolue en même temps que les besoins de l’entreprise en privilégiant la facilité d’usage. En 2019, nous avons donc décidé de consolider nos travaux d’innovation sur la démocratisation des technologies via un partenariat avec l’UTBM dans le cadre d’une thèse CIFRE avec comme cible, les domaines de la robotique. C’est ainsi que MORFOSE est né. Ce partenariat avec l’UTBM nous a permis de bénéficier d’une vision et d’un savoir plus approfondi de la robotique industrielle dans le monde. Cela nous a permis de proposer des innovations de rupture à nos clients et de nous assurer un positionnement très différenciant sur un marché concurrentiel.

À qui s’adresse Morfose et quelles sont ses applications ?

MORFOSE est un bras robotique collaboratif conçu pour les entreprises industrielles de toutes tailles, mais notre cœur de cible sont les TPME. Les applications qu’il peut effectuer sont très variées. Cela va dépendre de l’outil qu’on va ajouter en bout de bras. Aujourd’hui, la bride de MORFOSE répond aux standards européens. Elle est compatible avec l’ensemble des outils disponibles sur le marché. Notre cobot permet donc de faire de la manutention, du contrôle de présence d’éléments, du contrôle de vision ou dimensionnel de certains éléments, du vissage, du collage ou de la peinture. La limite de son usage est l’imagination de nos clients.

Combien de temps faut-il pour développer un produit de cette envergure et quels moyens faut-il mettre en œuvre ?

Le développement de MORFOSE a été un processus méticuleux s’étalant sur 4 années, du concept initial en 2019 à sa commercialisation fin 2023. Dans un premier temps, nous avons entamé une phase de recherche et développement, mobilisant des équipes techniques spécialisées pour explorer les possibilités et affiner le concept. Ce qui nous amène à la construction du premier prototype. Nous avons mis en œuvre nos idées théoriques dans une forme tangible, prête à être testée et améliorée. L’étape suivante était dédiée à l’industrialisation et à fabrication de notre solution robotique. Cela a impliqué de travailler avec des équipes spécialisées dans l’industrie, couvrant un large éventail de compétences telles que les méthodes, les achats, l’approvisionnement et le sourcing. Nous avons dû également nous concentrer sur le développement de nos moyens industriels pour notre outil de production.  Pour l’assemblage des composants de MORFOSE, nous sommes plus proches des méthodes d’industrialisation du domaine de l’horlogerie que de l’automobile. C’est une chance car cela nous permet de réduire nos investissements et ainsi, d’économiser plusieurs millions d’euros. Le montage et la mise au point du robot ont demandé une gestion minutieuse de la chaîne d’approvisionnement, des processus de montage interne, ainsi qu’un strict contrôle de la qualité. Et pour finir, l’étape la plus importante : la commercialisation. Nos équipes de vente ont été déployées sur le terrain pour entrer en contact direct avec les clients potentiels. Nous avons soigneusement recueilli les informations et les besoins des industriels, garantissant ainsi que nos futures évolutions en R&D seraient en phase avec les exigences du marché.

Comment appréhende-t-on la partie budgétaire sur ce type de projet ?

L’aspect financier est crucial lorsqu’on se lance dans l’industrie. Nous avons initié notre projet en puisant dans nos fonds propres, bénéficiant de notre activité historique pour assurer des rentrées d’argent et disposer de quelques équipes en interne. En 2021, nous avons eu la chance de recevoir un premier soutien financier de l’État au travers du Plan de Relance, à hauteur de 1,2 million d’euros, qui a donné le coup d’envoi officiel au développement industriel de MORFOSE. Parallèlement, j’ai pris la décision de céder une partie de nos activités historiques, à savoir la prestation de services, au groupe alsacien Link Group. Ces fonds nous ont permis de poursuivre nos investissements dans le projet de R&D. C’est à ce moment-là que nous sommes redevenus une start-up. Puis, en septembre 2023, dans le cadre de France 2030, nous avons fait entrer au capital de MS-Innov la Caisse des Dépôt au travers de la Banque des Territoires pour le compte de l’État ainsi que UI Investissement et Carvest. Cette étape a été décisive, puisqu’elle nous a permis, et qu’elle nous permet encore aujourd’hui, d’accélérer le processus de commercialisation de MORFOSE. En additionnant toutes ces sources de financement, nous avons mobilisé près de 8 millions d’euros. En tenant compte des investissements préalables, notre projet représente un budget total de l’ordre de 9 à 10 millions d’euros.

Comment rend-on une telle technologie financièrement accessible ?

Nous sommes engagés à rendre notre produit le plus accessible possible aux TPME. Nous avons développé notre offre pour répondre à leurs besoins. Premièrement, il faut prendre conscience que l’installation d’un cobot coûte moins chère que celle d’une cellule robotisée. Ensuite, nous proposons une solution modulaire qui permet aux clients d’acheter uniquement ce dont ils ont besoin, ni plus, ni moins. La modularité prolonge la durée de vie du robot, mais permet aussi de réduire les coûts liés à la maintenance. Elle permet d’adapter la configuration du bras robotique à une chaîne de production en remplaçant seulement des modules ou des bras. La rotation infinie permet également, en fonction du cas d’application, d’améliorer les temps de cycle et donc de gagner en productivité. MORFOSE est un investissement à long terme tout en étant aligné aux prix du marché. Notre approche consiste à proposer des produits différenciants et innovants adaptés aux besoins des TPME, plutôt que de rivaliser sur le segment du bas prix avec des solutions low-cost et moins qualitatives. En travaillant en étroite collaboration avec nos fournisseurs, nous ajustons nos prix en fonction des volumes de vente. Pour finir, nous proposons diverses offres, adaptées à chaque budget, comme la location, avec ou sans engagement, ou le rachat de module.

Qu’en est-il de la démocratisation de la robotique en France à l’heure actuelle ? Sommes-nous à jour avec les autres pays du monde ?

Absolument pas ! Nous avons des études qui le montrent. Je crois que la France est aujourd’hui le 14e pays du monde en termes de robotisation. Les leaders du marché sont la Chine, le Japon et la Corée. La France et principalement les PME industrielles ont pris du retard par rapport aux autres pays du monde. Beaucoup de PME n’ont pas conscience de l’enjeu que pourrait représenter la robotisation de leur chaîne de production et craignent les coûts que cela pourrait engendrer sans voir l’investissement à long terme. On entend très souvent : « Les cobots c’est bien mais ce n’est pas adapté à mon activité, c’est trop spécifique ». Souvent, après discussion et étude des process, on se rend vite compte que la cobotique a toute sa place mais que la difficulté vient d’une appréhension ou d’une crainte du changement. L’écosystème robotique français est bien présent et il se développe mais il doit réussir à convaincre davantage. C’est pour cela que la démocratisation de la robotique fait partie de nos missions quotidiennes. Nos solutions sont faciles à utiliser, elles aident les opérateurs en limitant les TMS par exemple et sont moins coûteuses.

Aujourd’hui vous privilégiez la production locale, comment atteignez-vous cet objectif ?

Nous avons un sourcing structuré avec des grilles de cotations de nos fournisseurs où la proximité, l’origine des capitaux, la gestion de leurs approvisionnements, et de nombreux autres critères sont comparés. Nous sommes confrontés à des enjeux stratégiques sur la logistique, les délais, la qualité et l’indépendance industrielle, ce qui nous pousse à faire des choix, non pas uniquement budgétaires, mais sur la performance globale de nos partenaires. Actuellement, 40% de la valeur du robot est fabriquée en France, et 89% en Europe. Seulement 11% des composants sont fabriqués hors Europe, notamment en Chine, au Japon et en Corée. En 2025, nous avons pour ambition de proposer un produit 50% français et 100% européen. Nous avons également fait le choix d’assembler le robot nous-même, dans nos ateliers belfortains. C’est donc l’ensemble de ce travail qui nous permet de trouver les meilleurs partenaires et assurer ainsi nos engagements tout en proposant une offre compétitive.

Quelles sont, selon vous, les grandes forces de l’industrie française ?

La France a un fort potentiel en recherche et innovation mais nous semblons être les seuls à l’ignorer. Nous avons une diversité de savoirs très variée due à notre histoire industrielle. Nous avons également de grandes écoles d’ingénieurs comme l’UTBM, qui est rentrée au classement de Shanghai des 200 meilleures universités du monde. Nous disposons aussi de nombreux dispositifs de développement et de création d’entreprise qui facilite et favorise la mise en relation. Je pense notamment à BPI. Aujourd’hui, il nous reste les freins liés à l’industrialisation et à l’investissement. Mais les choses évoluent rapidement de ce côté-là. Il y a dix ans, il aurait été impossible de lever des fonds en France pour la fabrication d’un robot industriel car cette pratique était plutôt destinée aux pays d’Asie. Je pense donc que nos atouts sont actuellement réunis comme jamais auparavant pour innover dans l’industrie.

MS-Innov évolue dans l’univers de la robotique. Pourtant vous donnez une part très importante à l’humain. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Quand on parle de robotique, il y a une distinction à faire. Les robots industriels doivent être sécurisés avec des éléments extérieurs comme des cages ou des barrières immatérielles. Les cobots, eux, sont équipés de systèmes directement intégrés qui garantissent la sécurité des opérateurs travaillant à proximité. C’est une technologie collaborative qui n’a pas pour objectif de remplacer l’humain. C’est une réelle opportunité de valorisation du travail des opérateurs. Le cobot va les soulager dans les tâches ingrates et leur permettre de se concentrer sur des missions à plus haute valeur ajoutée. De plus, notre logiciel de programmation est très facile à utiliser. Un opérateur peut apprendre à piloter MORFOSE en seulement ½ journée de formation. Ainsi, nous replaçons l’humain au cœur des projets industriels sans impacter négativement son travail. MS-Innov comprend une équipe de 37 personnes. Les 7 personnes avec lesquelles j’ai débuté l’aventure en 2015 sont toujours là. Nous avons tous grandi avec l’entreprise. De même que pour nos fournisseurs avec qui nous souhaitons travailler dans une vraie relation partenariale. Cette volonté de faire ensemble est aujourd’hui notre principale force. Nous avons des valeurs fortes qui sont : l’éthique, l’engagement, l’agilité et la prospectivité. La relation humaine est la genèse même de notre entreprise avec la volonté de partage, de transparence et d’écoute. Nous sommes convaincus que le secret d’une collaboration fructueuse passe par la reconnaissance et le respect de chacun.

Quels conseils donneriez-vous à quelqu’un qui voudrait lancer un produit innovant sur le marché ?

Je lui conseillerai de se poser les bonnes questions dès le début ; de réfléchir à la meilleure manière de vendre son produit ; définir son public cible, le budget nécessaire au projet et les ressources requises. Il ne faut pas se laisser emporter par les aspects techniques du produit. Même les avancées technologiques les plus impressionnantes sont inutiles si elles ne répondent pas à un besoin réel sur le marché. Ces questions fondamentales doivent être abordées rapidement et efficacement dans le processus de développement du produit.

Julien Morel
MS Innov
1 Rue Jacqueline Auriol
90000 Belfort
contact@ms-innov.fr
+33 3 39 03 41 60
ms-innov.fr

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