Sophie Tschirhart – Working Spirit / Working Success
Recrutement : et si l’état d’esprit était plus important que la compétence ?
Le recrutement est un sujet d’actualité, particulièrement dans certains secteurs d’activité.
Depuis quelques années, la dynamique a changé, et ce sont désormais les employeurs qui doivent séduire les candidats.
C’est aussi un métier à part entière. Sophie Tschirhart en a fait sa spécialité et accompagne les entreprises dans leur recherche de collaborateurs. Mais quels critères faut-il prendre en compte pour réussir une embauche ?
La compétence est-elle la seule clé du succès ?
Open a rencontré Working Spirit, qui nous éclaire sur sa philosophie.
Bonjour Sophie, pouvez-vous vous présenter ?
Je dirige la société Working Spirit qui est une société de travail temporaire que j’ai crée il y a bientôt dix ans. Psychologue clinicienne de formation, je ressentais une fibre commerciale à exploiter. Cette double appétence m’a conduite à postuler à un poste de chargée de recrutement, un métier combinant aspects commerciaux et relations humaines. Bien que j’aie mis de côté l’aspect clinique de mes études, j’ai immédiatement été passionnée par cette profession. J’ai également suivi durant deux années en cycle cadre un master de gestion des entreprises. J’ai d’abord évolué au sein d’une grande entreprise, puis dans une entreprise régionale pendant dix ans. Ensuite, je me suis associée pendant cinq ans avant de racheter la branche que j’avais développé pour créer Working Spirit.
Pourquoi le nom Working Spirit ?
On a toujours dit de moi que j’étais une « Working Girl ». Le travail m’a permis de gravir les échelons de la société en passant d’un milieu ouvrier, où je suis née, à celui de cheffe d’entreprise. Cela a été possible grâce aux études, car nous avons la chance de vivre dans un pays offrant des opportunités à tous. Le terme « Working » symbolise la dynamique et la force du travail. J’ai grandi en voyant ma mère, une véritable petite fourmi, travailler sans relâche, et cette culture du travail m’a façonnée.
Le « W » de notre logo signifie « Work » c’est-à-dire le verbe travailler en anglais et le « S » « Spirit signifie l’esprit car c’est véritablement l’esprit du travail que nous recherchons chez les candidats que nous recrutons. Pour moi, cet état d’esprit est tout aussi important que les compétences techniques. En tant que recruteur, nous devons identifier « l’énergie travail » dégagée par une personne, car c’est cette force qui la fera progresser et entraînera les autres dans son sillage. Le « S » du logo est aussi un clin d’œil à mon prénom, Sophie. Pour l’anecdote, on m’appelle souvent « Madame Sophie » à cause de mon nom de famille difficile à prononcer.
Quant à l’historique de l’entreprise, elle a commencé avec la création de l’agence de Mulhouse. J’étais seule au début, puis j’ai recruté progressivement une assistante, une comptable et des recruteurs. L’évolution s’est faite par étapes, avec l’ouverture d’une deuxième agence à Belfort, une troisième à Hésingue, puis une quatrième à Colmar. Entre-temps, nous avons lancé une deuxième marque, « Working Success », notre cabinet de recrutement CDD-CDI.
Notre chiffre d’affaires est passé de 3 millions d’euros la première année à 18 millions d’euros en 2023, et nous employons désormais 22 salariés.
Nos équipes gèrent en moyenne 500 intérimaires, qui sont nos salariés sous contrat. Cela signifie que nous établissons entre 400 et 600 fiches de paie chaque mois. Une société de travail temporaire ne se limite pas au recrutement : nous gérons aussi tout l’administratif, de la rédaction des contrats à l’établissement des fiches de paie, le tout de manière dématérialisée.
Le recrutement reste notre priorité. Les entreprises qui font appel à nos services sont d’abord prospectées par nos soins ou nous contactent directement. Nous apprenons à connaître leur culture d’entreprise, la composition de leurs équipes et leurs besoins spécifiques. Ces informations sont cruciales pour identifier l’intérimaire qui aura le « Working Spirit » adapté à leur structure. Deux caristes peuvent avoir des profils très différents, et c’est notre expertise de recruteur qui nous permet de proposer des solutions sur mesure, en associant les besoins de nos clients et les compétences de nos candidats. Nous assemblons les pièces d’un puzzle géant sans fin !
Véritable « Business Partner RH, nous avons aussi un rôle de conseil auprès de nos entreprises clientes et mettons à disposition de nos clients des solutions adaptées (évaluation métiers, personnalités, motivationnelles, langues, bilan, formation…).
Il y a encore quelques années, le CDI était le Saint Graal des chercheurs d’emploi. Est-ce toujours le cas ? Où en est le marché de l’emploi sur ce sujet ?
« Working Spirit » est une entreprise de travail temporaire. Nos clients nous sollicitent pour des contrats pouvant aller de quelques heures à plusieurs mois. Ces postes concernent essentiellement des ouvriers ou des profils techniques en intérim. Ils peuvent aussi déboucher sur un emploi pérenne. Mais certains de nos intérimaires ne souhaitent pas être embaucher car trouvent un équilibre à ce fonctionnement. Ses mêmes personnes constituent une ressource précieuse pour nos agences car nous les connaissons parfaitement.
« Working Success » quant à elle, cible les cadres, les techniciens rares et les profils plus spécifiques. Ces personnes sont directement recrutées en CDI chez nos clients. C’est pour cela que nous avons deux marques distinctes, car la méthodologie de recrutement et les qualifications recherchées diffèrent totalement.
Aujourd’hui, dans les secteurs des cadres et des techniciens, nous sommes en situation de plein emploi, avec seulement 3,5% de chômeurs en France pour ces catégories. Nous devons donc chercher activement ces candidats. Cela prend énormément de temps et nécessite une approche complètement différente, un recrutement inversé en quelque sorte. Le temps de recrutement est aujourd’hui beaucoup plus long qu’il y a quelques années. Ce phénomène est relativement récent.
Qu’est-ce qui provoque, selon vous, ce phénomène ?
Je crois que c’est multifactoriel. Le rapport au travail a évolué pour plusieurs raisons. Il y a certainement un facteur générationnel, et la période de la Covid-19 a également changé les mentalités. L’émergence de l’intelligence artificielle et du télétravail sont d’autres éléments à prendre en compte. En résumé, il y a un nombre non quantifiable de raisons à ce changement.
Le rapport au travail n’est plus le même qu’autrefois. La persévérance semble moins valorisée qu’avant. Les jeunes générations, par exemple, n’hésitent pas à rompre un contrat pour partir faire une année sabbatique ou un tour du monde, ce qui est relativement nouveau. Profiter de la vie et passer du bon temps sont devenus des valeurs plus fortes que de devenir propriétaire de son logement ou de capitaliser. Beaucoup ont vu leurs parents travailler plus de 10 heures par jour sans prendre de vacances, un mode de vie qui attire moins les jeunes aujourd’hui.
Un autre aspect récent est l’importance de l’épanouissement au travail et du sens de ce que l’on y donne. Il y a donc un écart générationnel entre deux mondes du travail très différents. Lequel de ces modèles est dans le vrai ? Difficile de répondre. Peut-être que nos générations ont misé sur le travail, tandis que les jeunes d’aujourd’hui misent sur le temps pour soi. Il est possible que ces visions se rééquilibrent à terme. Ce qui est certain, c’est qu’aujourd’hui, c’est l’employeur qui doit séduire le candidat.
Comment les entreprises séduisent-elles leurs futurs salariés ?
Tout d’abord, il y a la question de la flexibilité des horaires. Pouvoir s’adapter aux besoins des salariés, comme aller chercher leurs enfants en crèche ou à l’école, est crucial. Malgré tout ce qu’on peut dire, dès qu’un salarié se sent bien dans son entreprise, il se donne aussi les moyens d’atteindre ses objectifs. Je dis toujours à mes employés de venir me voir le jour s’il venait travailler la boule au ventre.
Un autre aspect important est le sens que l’on donne au travail. La démarche RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises) répond à beaucoup de ces questionnements. Des questions rarement posées autrefois deviennent aujourd’hui un véritable levier dans le processus de recrutement : « qu’est-ce que mon travail apporte à la société ? À la planète ? ». L’idée de travailler simplement pour produire et consommer ne suffit plus dans de nombreux cas. Il y a un besoin croissant de donner du sens à la mission que l’on accomplit. Les critères peuvent être multiples et variés, mais cette réflexion est de plus en plus nécessaire pour les entreprises.
Parallèlement, l’importance du salaire ne doit pas être négligée. De nombreuses personnes choisissent de travailler à la frontière pour des postes offrant moins de flexibilité mais de bien meilleurs revenus, illustrant l’importance de cet aspect.
L’aspect environnemental est aussi devenu un facteur de recrutement. Quel est votre point de vue sur le sujet ?
C’est une question qui me tient particulièrement à cœur. Je pense que le bilan d’une entreprise devrait inclure un bilan environnemental. C’est seulement à partir de ce moment-là que nous pourrons évaluer la véritable rentabilité d’une entreprise c’est-à-dire pas uniquement une rentabilité financière mais également une « rentabilité écologique ».
En tant qu’agence de travail temporaire, nous nous engageons non seulement sur le plan sociétal, mais nous veillons également à réduire notre empreinte écologique. Je cherche régulièrement des solutions dans ce sens. Par exemple, nous sommes engagés auprès d’une association qui plante des arbres, mais je souhaite aller encore plus loin.
Pour moi, notre responsabilité environnementale doit être à la hauteur de nos résultats économiques. C’est la raison pour laquelle nous consacrons un pourcentage de nos résultats à l’environnement. Être cheffe d’entreprise confère un pouvoir décisionnel et, même si nous ne sommes pas tous égaux, nous avons le devoir de faire au mieux, chacun à notre niveau. Il ne s’agit pas de culpabiliser, mais d’éveiller les consciences. Nous privilégions le Made in France dans nos achats par exemple. Mais il y a tant de choses à faire…
Selon vous, les entreprises qui évoluent dans des secteurs polluants et qui, malgré leur bonne volonté, auront un impact plus important sur l’environnement, auront-elles plus de risques d’être pénalisées sur le plan du recrutement ?
Je pense que cela dépend des individus. Pour certains, l’impact environnemental d’une entreprise sera un critère déterminant, pour d’autres, beaucoup moins. Certains secteurs ont effectivement peu de marge de manœuvre pour réduire leur impact, mais il existe toujours des solutions pour agir à tous les niveaux.
En ce qui concerne les candidats, certains sont très attachés à ces principes tandis que d’autres le sont moins. Ce n’est pas une règle générale, mais c’est une tendance croissante. Les profils sensibles aux enjeux environnementaux et climatiques vont naturellement éviter les métiers ayant un impact négatif sur l’environnement.
Quelle vision avez-vous de la démarche RSE ?
La démarche RSE est positive, mais elle doit être menée de manière sincère, et non uniquement pour obtenir de bons points. Si l’intention est fausse, cela finira par se voir et se ressentir par les salariés. Que ce soit pour des questions climatiques, sociétales ou une vision de l’emploi plus inclusive, le monde de l’entreprise doit s’adapter à ces enjeux. Il n’y a pas de débat.
Nous le faisons déjà de manière naturelle, mais il est aussi impératif d’éduquer les entreprises dans ce sens. Je vois cela comme un accompagnement nécessaire. En Alsace, nous avons cette culture, mais dans d’autres régions de France, des pratiques comme le tri des déchets ne sont pas encore en vigueur. Nous sommes en 2024 ! Il y a donc encore beaucoup de travail à faire.
J’espère que ceux qui ne conscientisent pas l’urgence de cette démarche le feront mais je pense que la majorité des gens ont pris conscience du problème.
Vous qui avez une vision à 360°, comment se porte le marché du travail et comment voyez-vous l’avenir ?
Ce début d’année a généré beaucoup de doutes, en grande partie en raison des incertitudes politiques. Cela a freiné certains chefs d’entreprise dans leurs projets. Cela dit, la situation de l’emploi est paradoxal car le taux de chômage est encore élevé et les recruteurs rencontrent une pénurie de main d’œuvre. La rareté des profils reste un vrai sujet, comme nous l’avons évoqué précédemment.
Quelle est votre position sur la marque employeur ?
Tout d’abord, pour nos lecteurs qui l’ignorent, la marque employeur est l’image et la réputation qu’une entreprise projette en tant qu’employeur, tant auprès de ses employés actuels que des candidats potentiels. Elle englobe la perception de l’entreprise sur des aspects tels que la culture d’entreprise, les valeurs, les conditions de travail, les opportunités de carrière et les avantages sociaux. Une marque employeur forte peut aider à attirer, recruter et fidéliser les talents, améliorer la satisfaction et l’engagement des employés, et renforcer la compétitivité de l’entreprise sur le marché du travail.
Chez « Working Spirit », par exemple, notre valeur forte, c’est le respect, envers nous-mêmes, envers les autres et aussi envers la planète. Ensuite viennent les valeurs de proximité et d’engagement. Chaque entreprise doit identifier ses valeurs fortes. Elles représentent son ADN et sont tout aussi importantes que son image de marque. Les entreprises qui ont compris cet enjeu rencontrent plus de succès auprès des candidats.
Cela marche dans les deux sens. Je peux citer l’exemple de Linda, notre comptable. Après avoir reçu une vingtaine de candidatures de comptable, je l’ai enfin rencontré, une femme engagée à plus d’un titre et notamment en politique. L’engagement est une valeur très forte chez nous, j’ai immédiatement su qu’elle était la personne qu’il nous fallait, et je ne me suis pas trompée.
Comme je le disais au début, nous recherchons un état d’esprit. Cela repose sur les différents points que nous avons abordés ensemble. Un candidat peut avoir les meilleures compétences techniques possibles s’il ne cadre pas avec les valeurs et la philosophie de l’entreprise, la relation a de fortes chances de se dégrader. La compétence sans engagement ne sert à rien.
Y a-t-il des métiers dans lesquels il est plus difficile de s’engager ou de trouver du sens ?
Je ne le pense pas. Nous sommes tous différents et nos aspirations varient. Si l’on comprend pourquoi on se lève le matin, cela donne du sens à notre travail. Que vous soyez à la tête d’une entreprise ou devant un convoyeur à faire de l’assemblage, chaque métier a la capacité de nous épanouir ; cela dépend encore une fois de notre état d’esprit.
J’ai rencontré des personnes exerçant des métiers très répétitifs qu’elles appréciaient profondément. On a souvent l’idée que les métiers manuels sont laborieux ou dégradants, mais ce n’est absolument pas le cas. Le respect est primordial. Par exemple, le balayeur qui nettoie la rue mérite tout notre respect, car sans lui, la rue serait invivable. Ce n’est pas négligeable.
Sommes-nous tous destinés à faire de longues études ? Pour quel but ? La société n’a pas besoin uniquement d’élites intellectuelles. La grande majorité des missions qui améliorent notre quotidien sont réalisées par des personnes qui n’ont pas fait de grandes études. Le résultat de leur travail est tout aussi précieux que n’importe quel autre travail. Si demain ils cessaient leurs tâches, nous nous en apercevrions très vite.
Il est temps de changer notre mentalité vis-à-vis des catégories sociales. Nous avons tous une pierre à apporter à l’édifice, et nous fonctionnons comme une grande chaîne, à l’image de la biodiversité. En Autriche, chaque étudiant doit passer par l’apprentissage d’un métier manuel avant de poursuivre ses études. Je trouve cette initiative vraiment intéressante et porteuse.
Je fais encore partie de cette génération où avoir un BEP ou un CAP était souvent perçu comme un échec scolaire, ce qui est terrible. La Covid a bouleversé les perspectives et a amené les gens à se questionner. Nous avons observé que certaines personnes ont quitté des postes technocratiques où elles avaient perdu le sens pour se tourner vers des métiers plus manuels, comme un retour aux sources. Même les étudiants commencent à se rebeller contre le système et cherchent à donner un autre sens à leurs études.
Comment les réseaux sociaux vous aident-ils aujourd’hui dans vos missions de recrutement ?
Les réseaux sociaux sont désormais des outils essentiels et incontournables. Les annonces que nous publions sont diffusées sur plusieurs plateformes et jobboards, ce qui nous permet d’atteindre un large public. Un ciblage étendu est crucial pour obtenir un maximum de candidatures. Ainsi, soit nous diffusons des annonces et recevons des réponses, soit nous nous concentrons sur la candidature spontanée pour la proposer à nos clients.
Nous utilisons des réseaux comme LinkedIn principalement pour notre cabinet « Working Success », car nous y trouvons des profils de cadres. Mais nous exploitons également Facebook, Instagram, TikTok et Snapchat pour toucher un public plus jeune. Aujourd’hui, nous ne négligeons aucune source qui pourrait nous aider à trouver des candidats.
Un autre outil efficace, mais souvent sous-estimé, est le bouche-à-oreille. Les témoignages positifs d’employés en poste peuvent aussi jouer un rôle important dans le recrutement. Nous avons tous un réseau, des connaissances.
Quels sont les enjeux de la formation dans le recrutement en entreprise ?
La formation est un enjeu crucial, bien qu’il ne soit pas toujours suffisamment discuté. Grâce à notre budget formation, nous avons la possibilité de développer les compétences de nos recrues, ce qui répond à des besoins spécifiques des entreprises. Par exemple, si une société nous indique un besoin particulier pour un poste de cariste, nous pouvons utiliser ce levier pour satisfaire cette demande.
Offrir des possibilités d’évolution est essentiel pour nos candidats. Dans le secteur logistique, nous avons recours à la formation de manière régulière, que ce soit pour les FCO, les permis ou les CACES. Nous veillons ainsi à maintenir et améliorer les compétences des personnes, tout en répondant aux besoins de nos clients.
Sophie Tschirhart Working Spirit / Working Success
5 Porte de Bâle
68100 Mulhouse
sophie.tb@working-spirit.fr
+33 3 89 51 29 89
working-spirit.fr