Frédéric Marquet : Manager du commerce et de la dynamique économique

Mulhouse ma bien-aimée Itinéraire d’une déclaration d’amour

Aimer sa ville, c’est beau. Lui consacrer sa vie, c’est un acte de foi, particulièrement lorsqu’elle anime plus le scepticisme que l’engouement. Mulhouse n’a pas toujours eu une image rayonnante. Voisine malchanceuse de Strasbourg l’Européenne, des grandes cités de Bâle et Fribourg, ou même de sa petite sœur, écrin du tourisme alsacien, Colmar. Si on y rajoute son passé industriel, sur le papier, elle semble ne pas faire rêver. Pourtant, il suffit de passer quelques instants avec Frédéric Marquet pour changer son regard et lui reconnaître son infini potentiel. De petite souillon, on lui dessine soudain les traits d’un joyau sous-estimé et souvent mal exploité. Car Mulhouse a tout d’une grande !

Qui es-tu Frédéric Marquet ?

Bonjour, déjà merci pour cette interview, Je suis né à Mulhouse où j’ai passé toute mon enfance. J’y ai fait mes études avant de partir à Angers en École de Commerce. J’ai également passé quelques années en Suisse du côté de Genève, mais mon cœur a toujours été à Mulhouse. Cela remonte à la cour de récréation. À cette époque, je défendais déjà ma ville (les enseignants s’en rappellent encore). J’ai toujours eu le sentiment qu’on la décriait de manière assez injuste par rapport à la réalité. Mon engagement professionnel pour Mulhouse tombait donc sous le sens.

À mon retour, j’ai travaillé 8 ans en agence de conseil en publicité et marketing chez Idaho, avant d’être recruté pour le poste de manager du commerce. Passer du privé au public ne fut pas évident. Je me suis laissé guider par la volonté de me rendre utile pour ma ville.

Comment se sont passés les débuts ?

Selon certaines personnes, cette mission semblait vouée à l’échec, car nous avions le plus grand nombre de friches commerciales à l’échelle nationale, 109 sur le centre-ville pour être exact, avec un taux de vacance de 14%, soit le plus fort de France. Ne croyant pas en la fatalité, j’ai compris qu’il fallait prendre ce projet à bras-le-corps.

Un manager du Commerce, ça fait quoi ?

Cette fonction existe depuis longtemps dans les pays anglo-saxons ou en Belgique et depuis peu en France. À Mulhouse, nous lui avons donné une dimension différente. Ma mission repose sur 3 grands axes.

Premièrement : revitaliser le centre-ville qui traversait une période très difficile. Les travaux du tramway ont considérablement ralenti l’activité, avant de devenir un vrai atout pour le commerce mulhousien. De ce fait, en 2010-2011, nous enregistrions un fort taux de vacance. La ville et la CCI de l’époque peinaient à s’accorder. Nous avons même assisté à des manifestations de commerçants, dont une qui est venue interrompre l’inauguration du Marché de Noël, c’est dire si la situation était tendue. Il a fallu faire adhérer l’ensemble des acteurs à une nouvelle stratégie. Nous devions nous différencier et surtout monter en gamme. Cette idée a été très vite remise en question lors des ateliers, beaucoup de gens pensant que Mulhouse était vouée à porter l’image d’une ville pauvre.

Le second axe, c’est le développement. Je devais aller chercher des enseignes nationales et des porteurs de projets indépendants intéressants pour Mulhouse. Il fallait alors combler plusieurs secteurs d’activité qui faisaient défaut. Par exemple, à cette époque, il n’y avait quasiment plus d’alimentaire au centre-ville. Trouver des fruits et légumes était compliqué. Pareil pour le bricolage. Il est important qu’un client puisse faire tous ses achats sur un même secteur pour le fidéliser. Une enseigne nationale nous intéresse si elle apporte quelque chose de créatif ou de différenciant. Et là aussi, tout a une exception. C’est-à-dire qu’il faut à la fois qu’elle nous différencie et qu’elle réponde aux codes du centre-ville. La FNAC en est le parfait exemple. On peut aussi citer Mango, Sephora ou H&M. Sans ce type d’enseignes, les clients ne viendraient pas parce qu’il manquerait quelque chose. Un enjeu important pour le développement est d’identifier les enseignes émergentes et faire partie des premières villes d’implantation. C’est un pari que nous avons réussi. Mulhouse est la 20ème agglomération française, c’est la 30ème ville de France. Spontanément, nous ne sommes pas une destination prioritaire. Le développement consiste également à accompagner les porteurs de projets indépendants et leur permettre un maximum d’ouvertures, tout en veillant que ces dernières aient un sens pour l’attractivité. Je vois beaucoup de gens passer dans mon bureau et je cherche à leur apporter un regard bienveillant [Open peut en témoigner]. Un jour, un couple est entré avec un projet de boutique de mode. Le projet était intéressant mais pas très différenciant. Après plus de 2 heures d’entretien, ils sont ressortis avec un projet d’ustensiles de cuisine et ce magasin est toujours ouvert aujourd’hui. Cela faisait partie des activités qui faisaient totalement défaut, il y avait un local qui s’y prêtait ainsi qu’une enseigne qui voulait investir à Mulhouse, il fallait des porteurs de projets.

Enfin, le troisième et dernier axe, c’est la proximité. Pour cela, je dois être la personne la plus disponible, la plus accessible, presque 24 heures sur 24. Un commerçant ne sait pas toujours s’il faut s’adresser au service voirie, à l’urbanisme ou au service commerce. Le manager du Commerce a pour mission de les décharger de cela. Ils doivent pouvoir se consacrer au métier de commerçant qui est déjà assez compliqué.

Pourquoi faut-il investir à Mulhouse ?

En 2011, notre ville compte un grand nombre de friches commerciales. Par exemple, l’ancien Monoprix est totalement vide en pleine rue du Sauvage. Idem pour l’ancien Casa qui deviendrait la Maison Engelmann. Ces espaces sont des opportunités d’implantation pour de grandes enseignes. Il y a ensuite le projet Mulhouse Grand Centre, à l’initiative de Jean Rottner. C’est un programme dans lequel nous travaillons sur un périmètre défini, à savoir le centre-ville un peu élargi. Nous y avons mis notre priorité, car il était inutile de travailler sur le commerce de quartier tant que le centre-ville était en train de mourir. C’est ainsi que nous avons débloqué 36 millions d’euros engagés sur 6 ans sur l’habitat, les espaces publics, les mobilités et le commerce. Jean Rottner fait de cette action la priorité de son premier mandat. Ma mission est de fédérer les enseignes autour de ce projet en leur faisant comprendre qu’il se passe quelque chose, que c’est le moment d’investir. Nous avions une quantité importante de friches et nous devions être force de proposition. À l’arrivée, nous avons obtenu des chiffres inégalés dans les autres villes, avec plus de 640 ouvertures depuis 12 ans au centre-ville de Mulhouse. Nous sommes à deux ouvertures pour une fermeture sur cette même période. Aujourd’hui, le nombre de locaux vacants a baissé de 55%. Pour autant, ce ne fut pas facile, car les enseignes et les porteurs de projets ont ouvert dans un contexte très difficile ne nous leurrons pas, c’est encore le cas aujourd’hui.

Économiquement, et pas uniquement à Mulhouse, nous visons une période compliquée pour le commerce. Aujourd’hui, lorsque les enseignes regardent Mulhouse, elles voient d’abord les résultats. Quel que soit leur positionnement (entrée ou haut de gamme), les résultats des enseignes nationales sont globalement plutôt bons à Mulhouse. Ces réseaux permettent des comparaisons à l’échelle nationale, cela fait de bons points de repères pour les investisseurs ou les autres enseignes.

Je dirais que l’un de nos premiers atout est la jeunesse, nous avons une des villes les plus jeunes de France. Cela induit de l’activité. Les porteurs de projets ont envie d’être dans une ville dynamique. L’autre atout, c’est la diversité culturelle. 136 nationalités sont présentes à Mulhouse. Pour une enseigne, c’est aussi une façon de tester rapidement un marché. Enfin, il y a la proximité de la Suisse et de l’Allemagne. Notre zone de chalandise compte 420 000 habitants, et sur ce périmètre de 30 km autour de Mulhouse, la moyenne des revenus est de 30% supérieure à la moyenne nationale. Cet argument est important et change l’image qu’on se fait de la ville. Mulhouse est une ville de contrastes. Elle est la 12ème ou 15ème ville la plus pauvre de France, tout en abritant le quartier Rebberg qui est le plus riche de province. Culturellement, Mulhouse a toujours été une ville de commerce à fort taux de consommation. Là où sa voisine, Colmar, est une ville où on se balade, à Mulhouse, on fait son shopping. Dans notre quête de différenciation, nous misons beaucoup sur le commerce indépendant. Sur plus de 600 ouvertures depuis 12 ans, nous sommes à 75% de commerces indépendants multimarques à Mulhouse.

Concernant les mobilités, même si l’accessibilité du centre-ville en voiture reste essentielle, il y a une demande forte de piétonnisation et végétalisation. De plus en plus, les familles veulent des espaces agréables, sécurisés, pouvoir laisser courir les enfants dans la rue en toute sécurité. Aujourd’hui, le projet de piétonnisation s’étend à la rue des Tanneurs.

Nous avons parlé des prix.Tu en as récemment reçu un, peux-tu nous en parler ?

Il s’agit du Trophée National du Manager de Centre Ville qui est remis chaque année. Symboliquement, le recevoir aujourd’hui après 12 ans d’efforts, c’est une belle reconnaissance de l’énergie et la passion que j’ai pour ma ville. Mulhouse a aussi été primée en 2017 du prix du centre-ville remis par la Gazette des communes, ainsi que d’autres reconnaissances. Maintenant, il est important de préciser que seul, on ne fait rien. J’ai eu la chance de participer au projet Mulhouse Grand Centre. Au départ, il y a ce projet, cet investissement qui est un formidable outil de travail, car sans celà, je n’ai rien à raconter aux investisseurs ou aux porteurs de projets. Je considère donc ce trophée comme une reconnaissance nationale supplémentaire pour Mulhouse. Chaque mulhousien doit porter cette fierté et la revendiquer. Notre ville, elle a besoin de ça. Trop de gens doutent de leur ville, même lorsqu’elle est primée, il faut en finir avec cela, ça nous fait du mal. Nous avons plus intérêt à ce que notre ville soit bien positionnée. Cela dit, cette tendance est en forte baisse. L’évolution de Mulhouse, ces dernières années, est indéniablement positive, surtout quand on voit ce qui s’est passé dans les autres villes. On enregistre 3200 fermetures de magasins en France ces 3 dernières années. 80 réseaux d’enseignes sont en procédure judiciaire ou en redressement. Certaines enseignes qu’on pensait immortelles sont tombées. Dans ce contexte, le sujet du commerce de centre-ville est devenu prégnant pour toutes les villes de France, et il y a une ville qui a avancé à contre- courant, c’est Mulhouse. Ce qui est récompensé à travers ce trophée, c’est l’investissement des commerçants. Aujourd’hui, c’est difficile de monter son rideau tous les matins, le baisser tous les soirs et d’entendre le manager du commerce dire combien la ville est dynamique, alors que certains ont vraiment du mal. Nous aussi avons subi de lourdes crises, comme celle du COVID. Le moral n’est pas au plus haut et c’est parfois compliqué de mettre la lumière sur le positif.

Justement, quels sont les enjeux des prochaines années sur le plan économique ?

Mulhouse doit se repositionner, on a un vrai problème d’image. C’est pour moi, le point d’urgence à travailler. Nous avons les atouts, un vivier économique très puissant avec des sites comme KM0 ou Motoco. Nous devons faire la jonction entre la créativité artistique et le tissu industriel et économique. Nous avons des talents sur notre territoire que d’autres n’ont pas. Encore faut-il les afficher. Malheureusement, à mon sens, les gens ne travaillent pas beaucoup ensemble. Open a aussi un rôle à jouer dans cela. Nous devons exploiter ce maillage et être tous ensemble. Et une fois pour toutes, Mulhouse doit être valorisée à sa juste valeur. Les territoires qui avancent aujourd’hui à l’échelle nationale sont ceux qui mutualisent leurs services et leurs moyens. Les finances font défaut. Faire des économies ou injecter de l’argent devient difficile, donc l’enjeu est là, c’est l’image, et chacun a un rôle à jouer. De l’habitant au commerçant, au chef d’entreprise, il faut qu’on prenne l’habitude de communiquer positivement, il faut changer d’état d’esprit. Je ne suis pas en train de dire que tout va bien et qu’il faut vendre du rêve, mais tout ce qui va bien à Mulhouse, c’est déjà une force incroyable que l’on aurait si on savait en parler.

Quelle est ta plus grande réussite ?

C’est lorsque des jeunes mulhousiens pous-sent la porte de ce bureau pour me dire qu’ils veulent participer à la vie de notre ville. Voilà un changement radical. Il a fallu attendre quelques années pour que ça arrive, mais ça me procure le sentiment qu’on a réussi à changer l’image de Mulhouse, que quelque chose se passe.

Quel conseil donnerais-tu à un créateur d’entreprise ou un futur commerçant ?

Dans le contexte difficile auquel nous sommes confrontés, je lui dirais d’avoir les reins solides, tant budgétairement et psychologiquement qu’au niveau de la consistance de son concept. Certaines personnes poussent la porte de ce bureau en pensant que c’est facile puisque «tout va bien à Mulhouse». Ma mission consiste également à les exposer aux réalités du marché car accompagner, c’est aussi savoir alerter sur un projet qui reste à enrichir. Il est essentiel de bien préparer son projet, de le penser sous tous les angles. C’est le conseil que je donnerais aujourd’hui. Il faut être habité par son projet, car le contexte est particulièrement difficile, seuls les passionnés passeront le cap des turbulences et des crises qui sont devenues quasi permanentes. Savoir anticiper, au moins s’adapter, tenir un optimisme d’action, sans naïveté, et être bien entouré ! Il y a tant à faire et réussir à Mulhouse, à condition d’engagement, de travail et de ténacité.

Frédéric Marquet
Manager du commerce
et de la dynamique économique
frederic.marquet@mulhouse-alsace.fr
03 69 77 60 56

4 Responses

  1. Bonjour,
    Désolé de vous déranger via ce biais.
    Je suis en accord avec vous.
    Me concernant (j’habite 5 rue du cultivateur), la rue de Ruelisheim à été aménagée il y a quelque années.
    et au croisement (rue de Ruelisheim et du cultivateur), le jour de la pose des bornes plastiques vertes, un véhicule était stationné (en interdiction).
    La borne n’ayant pas été posé, le coin est occupé en permanence par des véhicules, des accidents occasionnés par manque de visibilité.
    Malgré mes relances téléphoniques à Allo proximité et nombreux courriels depuis 2 ans.
    Cordialement

  2. Bravo a toi Fredéric.Je suis moi-même un vrai Mulhousien,et je me permets de te piquer une part de ton titre,car moi également « Mulhouse est ma bien aimée.. »Cela n’a pas été facile,au début avec ton acolique Cristophe.puis seul.Je t’envoie tout mon courage afin que notre ville devienne encore plus belle et attractive qu’ actuellement.

    Au plaisir d’une prochaine rencontre.
    Patrick MARIN

  3. Très belle interview. Je partage l’analyse de Frédéric Marquet. Arrivé en décembre 2012, la ville et son centre ville ne donnaient pas envie.
    Le travail entrepris et realisé des 12 dernieres années ont inversé la tendance (reportage très récent dans Capital M6 sur l’attractivité de cette ville.
    Merci Monsieur Marquet de cet engagement.

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